SUITE DES EVENEMENTS DE BOCARANGA

 

VENDREDI 3 FEVRIER 2017

La nuit a été infructueuse, le sommeil tardait à venir. Nous étions attentives à tous les petits bruits.

Enfin l’aurore se lève, un vent capricieux fait danser les branches des arbres. Nous entendons des cris… Des femmes pleurent leurs morts, les disparus… Bocaranga ne cesse de crier sa souffrance… de pleurer.

« Ton peuple Seigneur est dispersé dans la brousse, sans abris, sans nourriture, sans médicaments, sans couvertures pour se couvrir, abandonnés à leur sort dans un nature sauvage… »

« Toi, qui te dis au milieu de ton peuple, entendras-tu un jour leurs cris… »

Petit à petit, les hommes reviennent de la brousse pour ramasser leurs pauvres choses. Ils sont choqués par ce qu’ils ont vu et vécu.

Nous aussi nous sommes plongées dans un fleuve d’insécurité, avec toutes les personnes qui sont dans nos maisons, aux foyers, dans les salles de classe du Lycée : plus de 250 personnes : femmes âgées, enfants, jeunes, hommes.

  1. Robert et des représentants de la société civile, des ONG, ont rencontré les responsables de la MINUSCA (militaires de l’ONU) pour faire le point sur les événements et les solliciter pour venir en aide à la population et sécuriser la ville. Leur présence à Bocaranga est ambiguë, non ne savons pas de quel coté ils sont… et ce qu’ils font.

Après cette rencontre, dans l’après-midi 3 chars de guerre se sont positionnés devant l’Eglise, mais leur présence ne rassure pas la population et nous non plus !

Après une journée de tension et de peur, la nuit nous prend dans ses bras.

« Je dors, mais mon cœur veille »

 

SAMEDI 4 FEVRIER 2017

Un ciel nuageux nous découvre son visage, les rayons de soleil ont du mal à percer les nuages.

A la célébration eucharistique nous tendons les mains vers Celui qui est la Source de la Vie pour implorer la Paix, pour que le cercle vicieux de la violence, de la vengeance, soit brisé…

Des rumeurs courent que les Bororos se préparent à revenir…Nous voici à nouveau plongés dans l’inquiétude… les quartiers se vident, l’Exode recommence : nous voyons des femmes qui fuient avec de lourdes cuvettes sur la tête, des hommes transportant des matelas, des enfants qui suivent leurs parents, tous s’enfoncent dans la savane, en espérant être en sécurité… Les gens veulent sauver le peu qu’ils possèdent.

Quelle tristesse !

La nuit est sombre, la lune s’est déjà couchée, mais nos esprits sont en alerte.

 

DIMANCHE 5 FEVRIER 2017

Le jour se lève timidement avec son lot d’espoir. Nous chantons l’office du matin et nous remercions le Seigneur d’avoir protégé les gens durant la nuit.

Nous allons à l’Eglise qui est presque vide… mais petit à petit, les gens arrivent. Je les observe : leurs habits sont sales, déchirés car ils ont dormi en brousse. Leurs pieds sont poussiéreux car ils ont marché dans la savane, leurs visages expriment souffrance et peur.

J’admire leur courage leur désir de venir prier pour que cette folie meurtrière puisse cesser. Je me sens touchée au plus profond de moi-même par leur témoignage, par le risque qu’ils ont assumé, à chaque bruit tout le monde tournait les yeux vers la porte de sortie de l’église…

Mon cœur en est bouleversé. Les pauvres ont cette force de croire à « l’IMPOSSIBLE ». Des chants retentissent gorgés de vie, les corps bougent dans un mouvement timide de danse même si les cœurs sont meurtris pour tant de souffrances qu’ils endurent depuis des années…

Nous respirons ce climat d’insécurité, d’angoisse, de peur avec cette population lourdement éprouvée, et nous essayons de réconforter, de soulager la souffrance des gens par nos paroles, nos gestes concrets d’aide et par nos prières.

J’ai l’impression que tout s’écroule, la haine et la violence semblent dominer.

Et pourtant malgré nos doutes, nous croyons que le Seigneur est au cœur de tous ces événements qui déchirent le monde, ce monde des plus démunis et des plus pauvres. Nos mains sont vides, tendues vers toi, Seigneur dans un acte « d’ABANDON »

Le crépuscule inonde tendrement la savane et les collines qui nous entourent.

Le ciel revêt le manteau de la nuit qui nous accueille dans sa quiétude.
  Sr. Maria Elena Berini