Nouvelles du Carmel de Bangui n ° 21 – 8 mai 2018

« Dans les moments les plus difficiles surgissent des héros et je ne doute pas que des héros existent en République centrafricaine pour se lever comme un seul homme pour dire non à la violence, non à la barbarie, non à la destruction de soi-même ». C’est l’appel que l’archevêque de Bangui, le cardinal Dieudonné Nzapalainga, a adressé à la capitale et la nation tout entière en ces jours dramatiques, pleins de tension et de tristesse.

Qu’est-il arrivé à Bangui? Le matin du 1er mai, lors d’une célébration dans la paroisse de Notre Dame de Fatima (non loin de notre couvent), un groupe armé provenant du quartier Km5 (une enclave à majorité musulmane, depuis des années le principal foyer des tensions dans la capitale) a ouvert le feu sur les gens en prière, provoquant des morts et des blessés. L’incursion a eu lieu en représailles à une tentative de la police de capturer certains éléments de ce groupe armé qui, en fait, tiennent en otage la capitale et même certains musulmans du quartier.

Les fidèles de Fatima venaient de proclamer leur foi et l’offertoire allait commencer. Mais la Messe a continué avec le sacrifice de seize chrétiens, parmi lesquels un prêtre, l’abbé Albert Tungumale Baba. L’affrontement s’est ensuite poursuivi – pendant des jours – dans d’autres quartiers de la ville causant d’autres morts, d’autres blessés et la destruction de deux mosquées. L’épisode de Fatima, qui a blessé et laissé presque toute la ville dans la stupeur, s’est produit quelques semaines après le meurtre d’un autre prêtre, l’abbé Désiré Angbabata, avec onze de ses paroissiens à Séko (au centre du pays).

L’abbé Albert, âgé de soixante et onze ans, faisait partie des prêtres les plus anciens du clergé de Bangui. C’était un pasteur respecté et connu pour sa simplicité, sa sympathie, et surtout pour son travail discret et infatigable en faveur de la réconciliation entre chrétiens et musulmans. Lors des phases les plus aiguës de la guerre, il a accueilli durant des années des milliers de réfugiés des quartiers voisins dans sa paroisse, tout près du Km5. De plus, l’abbé Albert était connu de tous pour son grand amour pour le sango, la langue nationale de la Centrafrique, dont le vocabulaire n’est pas trop riche. L’abbé Albert était capable de traduire chaque mot (sans utiliser le français), avec des solutions ingénieuses ou des tournures plutôt drôles. Une fois, alors que nous voyagions ensemble, il a traduit mon nom, décrétant que l’on devait m’appeler Bwa (qui en sango signifie prêtre) Federiki.

Dans une interview, l’abbé Albert avait dit que seul Dieu pouvait maintenant sauver la Centrafrique. Il ne se trompait pas. Pour sauver la Centrafrique, on a essayé, et on est en train d’essayer, toute sorte de solution : l’armée nationale, les troupes de l’Union africaine, les soldat de l’armée française (qui a eu le grand mérite d’avoir empêché au conflit de devenir un massacre), ceux de l’Union européenne, puis la Minusca, la grande mission de l’ONU (qui, avec toutes ses limites, est actuellement la seule solution possible), et maintenant les soldats russes sont présents. Le pape François a également essayé, avec sa visite en novembre 2015, et il a réussi à susciter une trêve suffisante pour élire démocratiquement un nouveau président. Avec le temps, malheureusement, l’effet de cette visite a diminué et l’occasion de tourner la page a été une fois de plus gaspillée. Les affrontements se sont multipliés sur toute l’étendue du pays et cette paix, que nous venions de caresser, semble presque plus lointaine qu’avant.

Pourquoi cette guerre a-t-elle commencé? Et pourquoi semble-t-il impossible de l’arrêter? Les guerres sont toujours complexes, elles commencent pour de nombreuses raisons et évoluent avec le temps. Même pour ceux qui vivent ici depuis des années, il est difficile d’expliquer les vraies raisons du conflit et, plus encore, de proposer la bonne solution pour éteindre le feu, lui empêchant de se propager tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre – presque comme les feux de brousse – ne laissant que mort, destruction, peur et découragement. Actuellement, les deux camps adversaires ne sont même pas clairement distingués, comme c’était le cas dans les premières années de la guerre, entre Séléka (la coalition de milices à majorité musulmane, y compris de mercenaires d’autres pays) et anti-Balaka (milices d’autodéfense, nées pour la défense de la population du pays, à majorité chrétienne, et avec qui les évêques ont toujours pris de la distance). La Séléka est officiellement dissoute. Actuellement chaque groupe de rebelles a son chef, ses objectifs et sa zone d’influence. Ce n’est pas une guerre conventionnelle maison par maison, quartier par quartier comme Bangui l’avait connu en 2013 et 2014. Maintenant, il y a des affrontements entre les groupes d’autodéfense et les soldats de l’ONU ou les forces de l’ordre. Les trois quarts du pays sont hors de contrôle de l’autorité de l’État.

La guerre en Centrafrique, qui a débuté en 2012, n’est ni confessionnelle ni ethnique. C’est plutôt l’énième conflit pour la conquête du pouvoir et pour l’exploitation des richesses qui abondent dans le sous-sol. Malheureusement, l’élément confessionnel s’est introduit violemment empoisonnant la cohésion entre chrétiens et musulmans, ce qui faisait  de la République Centrafricaine – désormais dans un passé lointain – un exemple de cohabitation pacifique. Séko et Fatima confirment que pour revenir à la situation précédente, la route est encore très longue.

Lors de son homélie, à l’occasion des funérailles du prêtre assassiné et des victimes, le cardinal de Bangui a mis tout le monde en garde en dénonçant l’inertie du gouvernement, la lenteur de l’ONU et le risque que les chrétiens cèdent au désespoir ou, pire encore, à la logique de la violence et de la vengeance. Il y a un ennemi insidieux qui détruit la Centrafrique. Et cet ennemi, le cardinal l’a affirmé avec force, c’est le diable. Seules les armes de la foi peuvent le vaincre.

Bangui, blessée au cœur de sa foi, n’est pas en révolte contre Dieu, elle est plutôt en colère contre ceux qui ne veulent pas la paix et qui en obéissant presque à un agenda caché, persistent à bloquer le pays, comme s’il était inévitablement condamné à la misère et à la guerre. Bangui et toute la Centrafrique sont à la recherche de héros – parmi ses dirigeants, ses soldats, ses jeunes – afin qu’ils se lèvent comme un seul homme pour dire non à la guerre et oui à la paix.

Bwa Federiki