Union internationale des supérieures générales , Rome , Mai 2019
TEMOIGNAGE de Sr Elvira Tutolo – République Centrafricaine
“… Moi je ne voulais pas tuer, mais mon chef m’obligeait… Mon travail, c’était de mettre en pièce les cadavres… je suis resté enfermé dans un container pendant plusieurs jours sans manger, ni boire, j’ai vu mes compagnons mourir l’un après l’autre… j’ai été attaché et ils ont tué mes parents devant mes yeux… les militaires blancs m’ont offert du chocolat, puis ils ont voulu faire ces choses dont je ne peux pas parler… je devais aller voler et préparer à manger pour les combattants qui rentraient le soir… Un d’eux a profité de moi… maintenant, j’ai un enfant !! tous nous avons été vaccinés pour être forts et ne pas avoir peur… ils ont pris mon frère et l’ont torturé, nous l’avons retrouvé avec les bras en morceaux et le pénis coupé… le corps de mon fils est revenu sur la rive du fleuve avec les bras et les jambes attachées, le visage méconnaissable…”
J’ai été témoin de toutes ces violences, pour lesquelles j’ai préféré rapporter les expressions directes des jeunes femmes et hommes, qui maintenant sont sortis des bandes armées et que nous cherchons à aider pour qu’ils puissent retrouver la dignité perdue, le sens de la vie et reprendre l’espérance d’une vie meilleure.
Je suis ici, et je vous apporte le cri d’un peuple et d’une église martyrisée. C’est la situation de l’homme agressé par les brigands et laissé à moitié mort sur la route qui descend de Jérusalem à Jéricho … de Bangui à Bossangoa, de Bambari à Alindao, de Berberati à Gamboula. Je viens de la République Centrafricaine qui, depuis le début 2013, attend le “bon samaritain” En novembre 2015, le Pape François en pèlerin de la Paix, est venu ouvrir la Porte Sainte à Bangui, pour commencer l’année de la Miséricorde. Avec ce choix, il a redonné tant d’espérance. Malheureusement, après cinq ans et après 8 signatures et accords de Paix, 80% du territoire est sous le contrôle des Groupes armés. Ce sont les mêmes qu’avant, en mars 2013, même si nous les appelons “Ex”.
Leur objectif et unique intérêt est de pouvoir continuer à s’emparer impunément des richesses du Pays, diamants, or et bien d’autre choses encore ! Ça n’a rien à voir avec les religions, c’est seulement une coïncidence que les Selekas soient d’expression musulmane. Le vrai problème est celui-ci : La richesse du sous-sol et l’AVIDITE effrénée,
pleine de compétition, et sans aucun respect pour la justice de la part des puissances internationales.
A 60 ans de la proclamation de l’indépendance, nous sommes encore sans route, sans courant électrique, sans eau, sans école, sans hôpital, que nous puissions définir comme tels. Un peuple qui a tant de capacités reste humilié, pillé, appauvri !! Les Missions militaires qui ont été appelées pour défendre la population ont rencontré divers échecs et se sont compromises parfois dans certaines complicités. Il y tant, trop de contradictions. Je n’en cite que deux : l’ONU a encore prolongé l’Embargo sur les armes et c’est pour cela que l’armée nationale a tant de mal à se reconstruire. Elle n’a pas
l’équipement nécessaire. En même temps, les Groupes armés, continuent de recevoir des armes. L’embargo sur les diamants …. et en parallèle la sortie sans aucune limite de ceux-ci !!
L’Église catholique dans ses structures mais surtout dans la personne des prêtres et des religieux a payé et en train de payer un prix très élevé pour la défense de la population.
Une église jeune, mais déjà très vivante, qui est une graine d’espérance qui se réveille et grandit, même au milieu de tant de difficultés.
Nous soeurs de la Charité de Ste Jeanne-Antide Thouret, nous sommes arrivées en août 1960, au moment même où était proclamée l’indépendance : il y a 60 ans… Nous avons le sang centrafricain! avec les autres congrégations présentes sur le territoire, et avec la population, nous travaillons avec les plus pauvres, les malades, les jeunes. Nous essayons avec eux, de ne pas nous laisser voler l’espérance, grâce aux projets éducatifs et au développement.
Les soeurs centrafricaines sont engagées dans l’accompagnement des jeunes filles sorties des Bandes armées ou de la prostitution. Dans le noir, à tâtons, j’ai commencé mon expérience avec les enfants, les jeunes, qui vivaient dans la rue, car, comme ils le disaient eux-mêmes : “ A la maison, je ne pouvais plus vivre, j’ai préféré rester dans la rue…” Leurs parents sont séparés, les pères dans les chantiers de diamants, travaillent comme esclaves, propagent la misère, la polygamie, les accusations de sorcellerie, les violences, et n’ont jamais mis les pieds dans une école. Ils ont été toujours TRAHIS dans l’amour et abandonnés à eux-mêmes. Sur la route, exploités par les adultes, ces jeunes se retrouvent facilement en conflit avec la Loi, et ils finissent en prison avec les adultes.
Quelle réponse donner à ces enfants ? Comment pouvons-nous aider cette jeunesse à grandir ? Comment l’aider à espérer en une réalité meilleure ? Nous avons dit “NON” à l’Institut, a l’internat” ( comme ils disent) mais “OUI” à la Famille.
Une sensibilisation et une “formation pour les couples” du lieu a été commencée, nous avons réussi à faire naître une fraternité, qui, par la suite, a été reconnue comme ONG nationale : Kizito (le nom a été choisi par les enfants eux-mêmes) pour l’accueil, la protection et la réinsertion sociales des mineurs. Les couples ont ainsi avec leurs enfants naturels, dit “ du ventre” et des enfants, dits “ du coeur ”. Très souvent, vu le nombre, nous arrivons à avoir une équipe de foot, avec de la réserve !
Nous n’avons pas de mari, ce ne sont pas nos fils… ce n’est pas le devoir des soeurs :
Mais leur travail, c’est la provocation qui a fait naître une disponibilité et un amour à toute épreuve, l’espérance a commencé à renaître.
La guerre est arrivée !! Nous avons perdu tant d’enfants, de garçons, de jeunes ! nous avons été témoins de terribles actes de violence, de torture, d’agression, de violences sexuelles.
Serge… je ne le trouvais pas, je ne le voyais pas depuis quelques jours… ils m’appellent car il y a un cadavre déjà en phase de décomposition après la piste de l’aéroport.
« Soeur, c’est peut-être un de ses jeunes »…ainsi me dit la voix du téléphone. J’appelle les Médecins sans frontières qui, alors, étaient présents à Barbérati. Ils ne peuvent sortir des limites de l’hôpital. J’appelle le médecin directeur de l’hôpital…police et gendarmerie n’existent pas… personne n’a voulu bouger. … Je suis allée avec ma petite Suzuki sur laquelle il y a avait un linge blanc…et … oui.. C’était vraiment Serge : un corps déchiré, avec des signes plus qu’évidents de torture et criblé de coups. J’ai encore les balles avec moi, je ne sais pas pourquoi je les ai gardées… J’ai pleuré… avec les autres jeunes, nous avons creusé une fosse… une prière, un salut. Nous sommes rentrés juste à temps au centre car une voiture pleine de rebelles venait dans notre direction !! c’est justement peu de jours après qu’un des garçons résident au Centre de Formation me disait que sa maman était enceinte : “ ils étaient arrivés dans leur village, par loin de Berbérati, ils avaient pris toutes les femmes, avec les machettes, ils ont découpé les ventres. Les militaires mungui-blancs, nous offraient du chocolat, et puis ils nous demandaient de faire des choses que je ne peux pas dire… impossible à oublier…. Très difficile à pardonner et c’est pour cela qu’après les Antibalaka sont entrées pour venger la maman.”
Les jeunes ont cherché de s’organiser pour former une milice contre les Selekas : La violence appelle la violence !! Mais vraiment, avec la poursuite de ce centre, les jeunes retrouvent peu à peu le sourire et le désir de recommencer à rêver.
Et nous, avec eux, nous n’arrêtons pas nous faire Samaritaines, ensemble avec le Dieu de l’Espérance, de la Résurrection et de la Vie !
Berberati Mai 2019 – ROMA Suor Elvira Tutolo
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