CAS DE L’AERG ET DU GAERG

Jean Pierre DUINGIZEMUNGU

Jean Claude UWTLJNGTYIMANA

 

INTRODUCTION

 

Au lendemain du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, de nombreux enfants orphelins ont dû faire face à la perte des liens les plus fondamentaux ; non seulement les liens d’appartenance à l’espèce humaine, mais également à une société, une culture, une famille.

L’effondrement identitaire, la rupture, la déprime, la déchirure narcissique les ont touchés particulièrement. Cependant, ils n’ont pas tardé à devenir les moteurs de la reprise. Notre article relatera l ‘expérience des jeunes qui développent à travers les actions de l’Association des Elèves et Etudiants Rescapés du Génocide (AERG) et du Groupe d’Anciens Etudiants Rescapés du Génocide (GAERG) tout un  projet  de reconstruction  identitaire. –

L’AERG et le GAERG sont constitués de familles artificielles qui donnent à leurs membres les moyens de tisser de nouveaux liens d ‘appartenance . ll s’agit d’une stratégie empêchant les jeunes  rescapés  du  génocide  à  être  renvoyés à  eux-mêmes et  à se lancer  dans  une

adultisation prématurée • qui ne serait qu’un isolement face au traumatisme psychologique vécu. Il est intéressant de montrer comment ces jeunes  réaménagent  les repères  et  les liens  perdus.

Le réaménagement identitaire à partir des familles artificielles sera considéré comme une action de grande valeur. Confrontés à l ‘absence ou la précarité de protections familiales, sociales et culturelles, les jeunes de l ‘AERG et du GAERG ont créé des familles artificielles qui s’avèrent être des milieux qui peuvent contenir, homogénéiser et instituer de nouvelles  valeurs sécurisantes.

 

Cette expérience est présentée pour apprécier, à partir de quelques exemples, les  efforts  de  la jeunesse  rwandaise à trouver elle-même des solutions à ses problèmes.  C’est une façon de rendre compte de certaines actions positives de la transition psychosociale qui s’opère actuellement au Rwanda. Nous voulons montrer qu ‘il y a des signes que les Rwandais, surtout les jeunes, ne veulent pas se figer dans le désespoir.

Le présent article comporte trois points. D’abord, les deux institutions seront rapidement présentées. Ensuite, nous montrerons comment les familles artificielles en question sont des lieux d’identification, de dépassement et de création. Enfin, nous ferons une réflexion sur les stratégies d’identification  utilisées  à travers  les noms des familles.

 

  1. Brève présentation de l ‘AERG et du GAERG

 

L’AERG et le GAERG sont des associations sans but lucratif. La première  regroupe  les  élèves  et  étudiants  rescapés du Génocide qui deviennent à leur sortie des études des membres de la deuxième.

 

Elles comportent des familles artificielles qui sont  composées chacune par un  père,  une  mère,  des  oncles, des tantes et des enfants. Elles remplacent les anciennes familles biologiques décimées pendant le génocide et portent des noms spécifiques. Ces auto  panégyriques incitent généralement au courage, au développement de l’esprit d’émulation , de compassion et de solidarité. Voici quelques  exemples  des  noms des  familles:

Abavandimwe : les frères et sœurs

Abitonda 12 : les douze sages

 

Cyuse : Achève l ‘œuvre laissée par les siens

Uruyange  : la floraison

Mumporeze : Console- le

lnganji : les imbattables

Urumenesha : qui vainc

Imanzi : les héros

Isonga : ceux qui sont au sommet

lmenagitero : qui casse l’attaque

Intwari : les vaillants

Inshozamihigo : les provocateurs  de hauts faits

Urwesangeyo : qui vainc l’« ingeyo », une année puissante

Mpore : tiens bon . C’est un mot tendre de réconfort après un malheur

Intaganzwa : les invincibles

lnyamamare : les célèbres

Indashyikirwa : les inégalables

Ireme  : Elément de grande valeur

Itetero  : lieu d ‘épanouissement

lndangamirwa : les stars

lbambe : compassion

Intwarane : les vaillants

 

Les membres des familles se soutiennent moralement et matériellement . Ils se rencontrent une fois le mois pour planifier ensemble les activités communes comme :

La visite et l’encadrement des jeunes rescapés du génocide dans les écoles ou en milieu rural pour identifier leurs problèmes, leur venir en aide.

L’organisation et la participation active aux mariages et autres événements où les membres des familles sont impliquées,

Les recherches sur les conditions de vie des rescapés, Le plaidoyer pour ceux qui nécessitent    l’appui,

La  promotion  de la culture de la mémoire,

La coopération  avec  les  organisations  publiques et   privées    pour   combattre   le   négationnisme, la banalisation,l ‘idéologie du génocide et le révisionnisme .

 

  1. Les familles artificielles sont des  lieux des identifications, du dépassement et de la création

 

Les membres de l’AERG et du GAERG valorisent beaucoup leurs nouveaux groupes d’appartenance. Cela constitue une ressource importante, une stratégie  de  faire  face aux problèmes qui se posent. Ces jeunes veulent sortir des difficultés en héros. Mais remarquons que cette disposition ne devrait pas occulter la fragilité à laquelle ils sont confrontés.

En effet, la plupart d’entre eux étaient adolescents en 1994. Le deuil consécutif aux pertes causées par le génocide est venu perturber profondément l ‘évolution identificatoire propre à l’adolescence. La mort qui est  survenue dans des conditions particulières du génocide a rendu cette évolution problématique. Avant d’être tués, les parents ont été traqués, humiliés, rendus des objets. Les églises ont été profanées, les adultes ont montré le contraire du bon exemple à suivre. Il y a eu un flou dans le repérage et l’adolescence, période d ‘identification , a été passée très difficilement.

Il est heureux de constater que les jeunes rescapés se regroupent en familles artificielles très investies composées par des pairs. Comme l’écrit  M.F. Bacqué  (1998 :43), «  le

groupe est un repère facile, lieu  des  identifications, vivier expérientiel au sein duquel le jeune recherche de nouveaux modèles. »A partir des familles artificielles, les jeunes veulent réhabiliter leur adolescence. Ils essayent de les rendre attractives, d’en faire des lieux qui apportent la sécurité. Les jeunes rescapés ont besoin de questionner, main dans la main, ce qui organise leur société. Ils Ils veulent se tailler une place, se positionner .

Dans les activités familiales, l ‘on constate qu’ils condamnent les attitudes d ‘insouciance, de dépendance. Ils veulent à tout prix être à la hauteur de la mission de reconstruction du pays qui n’est pas remplie par n’importe qui.

Il nous a été rapporté que le père de famille (qui peut avoir le même âge que les « enfants ») a pour mission de visiter ses « enfants » à l ‘école, de s’enquérir de leur progression scolaire, de signer sur les bulletins, de participer aux réunions des parents, de châtier si nécessaire les fautifs. Ceci doit être com pris comme un témoignage de l’intérêt et de l’affection .

Quand il y a un mariage dans la famille, celle-ci s’organise comme s’il s’agissait d ‘une famille normale. Des réunions de préparation sont menées, les membres se partagent les rôles pour participer activement aux préludes, aux pourparlers coutumiers et sociaux entre les membres des familles des fiancées et aux cérémonies proprement dites du mariage.

Cette solidarité s’observe dans toutes les autres circonstances qui ponctuent la vie des familles : les anniversaires,  les baptêmes, les deuils, etc.

En période de commémoration, les liens se resserrent. Les jeunes se rencontrent, aident les autres à inhumer les corps retrouvés, animent les veillées, échangent les témoignages pour que la violence subie s’élabore, se dise. En quelque sorte, ils font un travail de deuil réparateur sans lequel se produirait comme l ‘écrit M. Ulriksen-Vignar (1989 :122), « rupture et perte dans la transmission de l’histoire familiale et sociale ».

 

Au sein des familles artificielles, les rescapés osent le récit de l’horreur. Ils y sont solidaires, ouverts, créatifs, généreux, entreprenants. Les uns écoutent les autres et vice versa.  Il y a des  destinataires de messages qui répondent.

Ces familles sont de véritables lieux de mémoire, de culture, et de développement des marques identitaires.

 

Elles construisent à travers leurs réalisations une mémoire tournée vers l’accomplissement d’objectifs précis. Un des responsables de l’AERG nous a assuré que cette ssociation poursuit un projet de société, une éducation à la non-violence et à la justice. Elle a un rôle important dans la construction de la mémoire collective qui protège contre la résusgence de l’horreur. Cette mémoire garantit les actions de prévention. C’est un élément essentiel favorisant la résilience qui est selon M.Lemay ( 2002:36)  « la capacité d’un sujet de surmonter ses traumas » . Cette résilience part des potentialités dont dispose l’être humain confronté aux situations difficiles. Nous remarquons que les familles artificielles sont là pour que ces potentialités se déploient aisément, ce sont des lieux de

questionnement, de dépassement et de création.

Selon ce que nous avons observé, les familles artificielles nucléaires démarrées en 1996 par l ‘AERG sont en train de devenir peu à peu avec le GAERG des parentèles. Les anciens membres de l’AERG se marient, ont des enfants qui eux aussi participent aux activités de la famille artificielle d’appartenance. Nous avons d’ailleurs l ‘impression que des sortes de « lignages » se forment progressivement. Signalons que chaque année toutes les familles du GAERG se rencontrent à un endroit pour célébrer la fête des prémices (umuganura) . A cette occasion, plusieurs activités sont prévues : partage d’un repas copieux, présentation des enfants nés au courant de l’année écoulée, séance  de taquiner les célibataires qui ne veulent pas se décider à se chercher des fiancées, présentation des projets de développement, animation culturelle où les plus jeunes reçoivent des prescriptions pour ne pas se détacher de la culture rwandaise etc.

 

Lors de la dernière rencontre de Rebero, des noms comme MURORUNKWERE ( aperçois-la et apporte gage d’alliance), MUKUZANYANA (qui fait grandir lesgénisses), NYINAWAZO (la  source  des  vaches)  ont  été  prononcés  pour   présenter les bébés filles. Ne s’agit-il pas d ‘un  message  clair  ?  Il  nous semble que les membres du GAERG développent des espaces  d’éclosion  de  la  vie,  des  espaces  qui  les  aident à ne pas s’éteindre.

 

En  lisant  les messages échangés  sur le forum internet  des membres de la famille «  URUYANGE »  du GAERG, nous sommes tombé sur les lignes suivantes qui expriment cette détermination . Les messages de ce type sont  nombreux, nous ne donnons  ici qu’un  exemple  et  soulignons  que la permission de l ‘utiliser dans cette communication a été donnée. Voici le texte en question (l’original est en Kinyarwanda) :

 

« Hi chers enfants. ni Papa muto ubasuhuza, nyuma yo k:u.garagara ko hari abut inya ikoranabuhanga jyewe nitandukanyije nabo. Ngiye kLljya nkorana naryo. Kubatarashoboye   kuboneka   kuri   uyu   wa   gatanu    tariki  ya 20/ 02/ 2009, twasuye  Famille  Damascene  na  Beline nk’uko mwari mubizi ko baherutse kwibaruka umwana w’umukobwa uje ukurikira uw’umuhungu yari  afite twaboneyeho    umwanya    wo    guhemba    umubyeyi    kuko ni igikoma twari twakit waje. Turashimira ababiteguye n’ababonet se  aribo  :  Mama, Kirisitina,  Siliuani,   Safali, Pisi, Garatsiya, Joweri, Mîreye na Papa muto. Hari abatarabonetse kubera  impa  muu  zizwi banaziuuze  aribo Papa mukuru, Bosiko, Daluberi, Bujeniya, Gawudensiya, Emili, ba 2 Risharis, Shantali. Reka tubagezeho gahunda z’uruyange muzimenye  n’abitegura  mubigire  kare. Ubutaha   le   6/ 3/ 2009   tuzasura    Shantali    Akwizihize.  Kuri konti yafunguw e muri Banki y’abaturage ya Remera musabe Mama No za Konti mushyireho amafaranga ya koperatiue kuko dusigaranye ukwezi   kwa   gatatu   gusa umugabane  wose ukaba wagezeho. Papa na Mama turabasaba  by’umwihari.ko   kuduha   urugero   lukazahura le 6/3 bararangije  kugirango  abana  babonereho.  Ndizera ko ubutaha tuzahura turi benshi kandi  buri  wese  ashyire frw kuri kDnti abantu batazagirango nta bikonua tugira ahubwo ari amagambo gusa . Narondogoye ubutaha tuzajya tubereka uburyo gahunda z’uruyange zitabirwa kuri uru rubuga.. Imana  ibahe imigisha  mwese. »

 

K.J.S

La traduction pourrait être :

 

Comment allez-vous chers enfants ?C’est votre jeune oncle qui vous salue. Après avoir constaté qu’il y a des gens qui ont peur des nouvelles technologies de communication, je  me suis décidé de me désolidariser d ‘eux. Je vais désormais les utiliser.

Pour ceux qui n’ont pas pu être présents le vendredi 20 février 2009, je vous informe que nous avons visité la famille Damascène et Béline. Vous le savez, ils viennent d ‘avoir un deuxième enfant, une fille qui suit un garçon.

Nous avons profité  de l’occasion pour apporter des cadeaux à la maman, nous nous étions préparés en conséquence.

 

Nous adressons nos remerciements à ceux qui ont organisé l’événement et ceux qui ont été présents : maman, Christine, Sylvain, Safari, Peace, Grâce, Joël, Mireille et notre jeune oncle paternel (papa muto).

Il  y en a qui étaient absents mais se sont excusés : Papa (papa mukuru), Bosco,Adalbert, Eugénie, Gaudence, Emile, les deux Richards  et Chantal.

Je voudrais vous faire part  des programmes de notre famille « Uruyange ». Vous devez y attacher de l ‘importance et vous préparer comme il faut. La fois prochaine en date du 6 mars, nous rendrons visite à Chantal Akwizihize.  Vous êtes priés de demander à notre  maman le numéro de compte ouvert à la Banque populaire de Remera pour y déposer la cotisation concernant la coopérative. Il ne nous reste que le mois de mars pour rassembler  les parts exigées.

 

Nous demandons spécialement à papa et maman de le faire vite de façon qu’ils aient terminé l’opération avant le 6 mars pour que les enfants puissent suivre l’exemple. J’ose espérer que la fois prochaine, il y aura du monde et que vous allez tous déposer vos parts sur le compte pour que les autres ne nous prennent pour des gens qui ne traduisent pas leurs paroles en actions.

 

J ‘ai été trop long. Dans la suite, nous vous montrerons  progressivement, par le biais de ce forum, comment les programmes de la famille « Uruyange » évoluent.

Que Dieu vous  comble  tous de ses bénédictions. ..

 

K.J.S.

 

Sans aller dans les détails de l’analyse de ce message, nous pouvons dire simplement que les différents rôles familiaux sont pris au sérieux. En plus, s’il y a des enfants qui naissent, c’est que des mariages se font. Ceux qui étaient pères deviennent grands pères. Les mariés agrandissent les familles respectives et des rapports de parenté par descendance se tissent. L’ancrage de nouvelles identités par l’organisation de la descendance apparaît clairement. Le message de K.J.S. est éloquent à ce sujet. Le dernier point traité dans cet article présente une autre stratégie d’ancrage de l’identité : le choix minutieux des noms des familles.

 

  1. Stratégies d’identification à travers les noms des familles

 

Le nom, loin d ‘être  une  simple  nomenclature  est  riche en  signification.  Etant  un  signe  linguistique  motivé, le nom qu’on donne ou qu’on se donne pour identifier ou s’identifier est un rattachement très symbolique aux aspirations et aux événements vécus. Dans son étude des noms et des hommes, P. Ntahombaye (1983 : 18) souligne cette dimension symbolique en parlant de la fonction du nom :

« Les  noms assument  une réelle fonction de communication et véhiculent des valeurs de tout ordre, des valeurs technologiques, éthiques, historiques, spirituelles et sont des moyens d’atteindre l’histoire et la psychologie d ‘un peuple. »Retenons, pour le cas qui nous concerne, que les noms donnés aux familles artificielles par les jeunes rescapés du génocide perpétrés contre les Tutsi de  1994 sont d’abord des moyens pour véhiculer  leurs aspirations en s’inspirant de la tradition , surtout orale, et de certaines valeurs culturelles rwandaises.

 

L’expression de ces aspirations à travers les noms de leurs familles artificielles se veut être, non seulement un moyen de réinventer la chaleur parentale qu’ils ont eue avant l’extermination de leurs parents, mais aussi  un outil d’auto-affirmation pour faire face à leur passé déchu. Notons ici que cette auto-affirmation souligne leur volonté de vivre et de lutter pour la vie d’où l’adoption des noms chevilles utilisés très souvent dans la poésie guerrière où un combattant doit parler de ses exploits et de sa bravoure. Prenons quelques noms comme illustration.

 

Des noms ayant le topo de victoire

 

Urumenesha (u-ru-menesh-a) : Derrière ce nom de famille qui vient du verbe  «  Kumenesha »  («  vaincre ») , les jeunes rescapés veulent exprimer l’idée qu’ils sont déterminés à vaincre leur solitude et à reconstruire leur identité comme des jeunes ayant  construit  leurs  propres familles

 

lmenagitero (vient de « Kumena »,  casser,   et « igitero », attaque, c’est-à-dire une famille qui se défend, qui se protège.

Urwesangeyo (vient de « Kwesa »casser, et « ingeyo », une armée bovine des Abashakamba qui était redoutable) . Il s’agit d’une famille qui vainc même le puissant, d ‘où l ‘idée d ‘exprimer l’aspiration au goût de l’excellence.

 

Des noms exprimant la recherche ou la reconstruction de la chaleur parentale

 

Itetero du verbe « guteta » (se sentir bien chez soi). ltetero signifie l ‘endroit où l’on est bien, c’est-à-dire une famille où les enfants sont heureux. Ce nom de famille en extension serait «  Itetero ry’abato » une famille où  les enfants sont heureux.

Imboneza Teta : dans ce nom il y a l’idée de détermination.Imboneza du verbe kuboneza signifie suivre un chemin tracé, une orientation donnée. L’on note aussi la finalité ou l’objectif de celui qui est déterminé : ” Le bonheur ” d’où le composant « Teta » c’est-à-dire «  Sens bien chez toi » .

 

Des noms exprimant la volonté d’être les continuateurs de l’œuvre des disparus

 

L’on peut donner l’exemple de « Cyuse » (Achève mon œuvre). Ce nom vient du verbe « Kusa »(achever) .Il y a dans ce nom de famille la réduction de l’item lexical par la trope dite « ellipse »(Ki-us-e). Le «  Ki » remplace ici « ikivi » (œuvre inachevée). Par extension, on aurait le nom de famille  « Usa ikivi » .

 

Des noms qui permettent aux jeunes  de rechercher des modèles dans l’histoire du Rwanda :

Comme « Uruyange » (la floraison) qui est l’une des plus célèbres milices du Rwanda ancien qui se distingua spécialement dans deux expéditions: celle de Ku Kidogora au Bushi et celle contre le Nkole en 1895. S’identifier à une ancienne milice ne signifie pas nécessairement la volonté de ressembler à des guerriers. Remarquons avec A. Kagame (196 1 :7) que « dans le Rwanda ancien, l’armée n’est pas une institution destinée uniquement aux combats. C’est une vaste corporation, dont les membres dispersés dans tout le pays obéissent à un chef. Celui-ci veille à la formation des jeunes gens de la milice(…).Mais à cette corporation incombent principalement des droits et des devoirs d ‘ordre social dont l’importance dépassait de loin celle des obligations guerrières ».

 

Des noms qui rappellent la détermination pour aboutir aux exploits et développer le goût de l’excellence et de la célébrité

Des exemples sont nombreux : « Indashyikirwa », (les inégalables), « Inshozamihigo » (les provocateurs des hauts faits), «  lsonga »(ceux qui sont au sommet,

« Inyamamare » (les célèbres)  « Indangarnuwa » (les stars)

 

En somme, nous constatons que la reconstruction identitaire se manifeste en filigrane à travers les noms des familles artificielles.

 

Tous les noms recensés ont en commun un topos positivant l’identité  et allant au-delà  des problèmes vécus lors du génocide et après. Cela montre combien le nom de famille revêt  une  importance capitale  dans  la  reconstruction identitaire des jeunes rescapés car c’est à travers lui qu’ils se fixent des objectifs à accomplir. Et cela s’inscrit également dans  la  conception   traditionnelle rwandaise d’après laquelle le nom a un impact considérable sur la personne qui le porte. Les jeunes s’identifient à ce que représentent les qualificatifs qu’ils s’attribuent. Un proverbe rwandais ne dit-il pas que le nomc’est lui l’homme ? (Izina ni ryo muntu)

 

Conclusion

 

Pour conclure, nous voudrions dire que le projet des familles artificielles de l ‘AERG et du GAERG est une tentative de recréation . Elles apportent la protection, la sécurité, la reconnaissance, la socialisation que les familles décimées en 1994 offraient. En considérant les actions et le symbolisme des familles en question, nous constatons qu’elles ne fonctionnent pas sur le mode associatif simple. Ce sont des organisations familiales à part entière. Des études interdisciplinaires devraient approfondir cette remarque et proposer des analyses poussées de ce phénomène complexe. Nous appelons les Rwandais de toutes les catégories de s’intéresser positivement à ces familles pour leur permettre d ‘évoluer et de participer de façon significative à la reconstruction du pays.