“J’ai peur. Mais je veux toujours devenir prêtre. “
Nouvelles du Carmel de Bangui n° 23 – le 21 décembre 2018
En classe, pendant les cours, on ne peut pas s’empêcher de parler de ce qui s’est passé.
C’était dans la matinée du 15 novembre, à Alindao, à 500 km de Bangui : un camp de déplacés, situé près de la Cathédrale, a été pris d’assaut par un groupe de rebelles islamistes, qui portent le nom étrange d’Union pour la paix en Centrafrique. Il s’agit d’un des nombreux groupes, aux ordres d’un certain Ali Darassa, qui proviennent de la dissolution de la Séléka et qui hantent encore les trois quarts du pays. Au total, il y a eu plus de quatre-vingts morts. Un vrai massacre. Une razzia, plus exactement, car en plus des victimes, les abris ont été incendiées, tout le camp a été détruit, les maisons ont été pillées, l’église profanée. Ce massacre a eu lieu sous les yeux du contingent onusien, qui n’a pas bougé, alors qu’il avait, de fait, le mandat de protéger les civils. Parmi les victimes, outre les femmes, les enfants et les personnes âgées, deux prêtres: l’abbé Célestin et l’abbé Blaise. C’est grâce au courage du jeune évêque d’Alindao, Cyr-Nestor Yapaupa, qu’on a pu éviter que le bilan ne soit encore plus lourd. En effet, plutôt que d’accueillir à l’intérieur de sa cathédrale tous ceux qui venaient y chercher refuge, il leur a tous ordonné de fuir dans la brousse. Si les fidèles ne lui avaient pas obéi, il y aurait eu encore plus de morts. Cependant, l’évêque et quelques prêtres avaient décidé de rester sur place.
Quand la nouvelle de ce qui venait d’arriver nous est parvenue, nous ne voulions pas y croire, c’était trop… Les photos des chrétiens carbonisés faisaient le tour du monde. Les aiguilles, déjà très lentes, de l’horloge de la paix semblaient soudainement et dramatiquement courir en sens inverse. C’est comme si la Centrafrique s’était empêtrée dans un enchevêtrement inextricable d’ingérences étrangères, de défaillances de la part de la communauté internationale et d’incapacité du gouvernement local. Le facteur confessionnel rendait le cocktail encore plus meurtrier. Quelques jours après ces événements, nous participions à une réunion de prêtres à Bangui. L’abbé Donald, qui venait d’arriver d’Alindao, se trouvait parmi nous. Nous le connaissons bien : originaire de Bangui, prêtre depuis un peu plus d’un mois, il avait fait sa retraite d’ordination au Carmel, écoutant attentivement les enseignements du soussigné. Enseignements qui devaient lui donner les dernières « consignes pour la route » avant de devenir ministre de Dieu pour toujours. Ensuite Donald avait été envoyé dans le diocèse d’Alindao. Cette fois, c’était mon tour d’écouter attentivement son compte-rendu de ce qui s’était passé à Alindao, même si visiblement, il était encore sous le choc. Donald n’a pas eu le temps d’apprendre à devenir prêtre, mais déjà, il en a vu mourir deux sous ses yeux, tués pour les vêtements qu’ils portaient et le métier qu’ils exerçaient.
En classe, pendant les cours, c’est finalement un devoir de parler de tout cela. Car les étudiants que j’ai en face de moi ne sont pas n’importe quels étudiants. Ce sont les futurs prêtres de la Centrafrique. Ils viennent des villes et des villages de tout le pays. Ils ont été témoins de la guerre et s’ils se trouvent maintenant au séminaire de Bangui, c’est parce qu’ils veulent faire le même travail que Célestin et Blaise. Quand un jour ils seront prêtres, ils repartiront dans les diocèses dont ils sont venus. Je leur demande s’ils sont toujours décidés à persévérer sur le chemin qu’ils ont pris et s’ils sont bien conscients que c’est une mission à haut risque qui les attend. Odilon, du sommet de ses vingt ans, répond pour tout le monde: “J’ai peur, mon père. J’ai tellement peur. Mais je ne changerai pas d’avis. Je veux toujours devenir prêtre “. Sa sincérité et son courage désarmeraient même Ali Darassa. Je voudrais avouer à Odilon que j’ai peur moi-aussi. Mais que je n’ai aucune envie de changer de travail. Je pense au jour où je suis devenu prêtre. Je n’aurais jamais imaginé que je serai arrivé ici, pour expliquer qui étaient Origène et Augustin, face à des dizaines de visages noirs, curieux et imprévisibles, obstinément convaincus que l’on peut et que l’on doit devenir prêtres, même dans un pays en guerre.
Face au massacre d’Alindao, les pasteurs des neuf grands diocèses de la Centrafrique ont invité tous les chrétiens du pays à poser un geste de courage, profondément symbolique. Un geste de solidarité envers les chrétiens d’Alindao, une lamentation unanime afin que quelque chose change enfin, un ultime appel afin que ceux qui le peuvent fassent quelque chose et qu’ils le fassent vite. Un geste qui ne soit dirigé contre personne, un geste qui ne soit pas non plus polémique. Quand une famille est dans le deuil, elle ne peut pas faire la fête. C’est dans cet esprit que les chrétiens ont été invités à s’abstenir de célébrer la fête nationale du 1er décembre, qui est pourtant la fête la plus suivie dans le pays, d’autant que cette année, c’était le 60ème anniversaire de l’indépendance de la nation. Mais comment une nation qui a tant de peine à s’imposer et qui souffre depuis si longtemps pourrait-elle faire la fête ? Au Carmel, nous avons passé toute la journée en adoration devant le Saint-Sacrement.
Cependant, peu de temps après, le 8 décembre, il y a eu quand-même une fête pour notre famille: je veux parler de la profession solennelle, c’est-à-dire de l’engagement définitif dans la famille du Carmel, de Frère Michaël. Son papa, désormais âgé et complètement aveugle, n’avait pas voulu rater l’événement. Huitième de douze enfants, originaire de Bocaranga, l’une des villes les plus touchées par le conflit, Michaël a atteint cet objectif important de la profession solennelle après de nombreuses années de formation. Son entrée définitive dans l’Ordre marque également une étape importante, non seulement pour lui, mais pour l’ensemble de la délégation des Carmes Déchaux en Centrafrique. Pour la première fois, le nombre de frères autochtones dépasse celui des missionnaires italiens actuellement en service en Centrafrique : un petit contingent de manteaux blancs, multiethnique et relativement en bonne santé.
Y a-t-il un lien entre le sacrifice de l’abbé Célestin et de l’abbé Blaise, le courage de l’évêque Cyr-Nestor, ce que l’abbé Donald a vu, la promesse solennelle d’Odilon et le pour toujours du frère Michaël? Saint Augustin demandait à Dieu, pour lui-même et ses pasteurs, la grâce de pouvoir aimer son troupeau au point d’en mourir aut effectu aut affectu, c’est-à-dire, effectivement, par le sacrifice de sa vie, ou affectivement, en se dévouant sans retour au service du peuple de Dieu. Dans le passé, les arguments pour critiquer cette jeune église ne sont pas manqués. Alors que l’année 2018 touche à sa fin, le bilan est lourd : cinq prêtres et des dizaines de chrétiens ont été tués au cours de célébrations ou près de leurs églises. Tel est le visage de l’Eglise en Centrafrique : une église certainement encore jeune et fragile, mais une église qui ne fuit pas devant l’ennemi et dont les pasteurs ne sont pas des mercenaires.
Joyeux Noël!
Père Federico
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