Ici, à Bangui, on a prié pour la venue du pape, le peuple centrafricain l’attendait… Tandis que les grands palabraient sans savoir s’ils veulaient la paix et surtout à quel prix, les petits se sont activés à donner à leur pays un visage présentable… Au centre ville, le bitume a recouvert l’asphalte, la cathédrale est repeinte… des pagnes aux couleurs de sa Sainteté version africaine ont été confectionnés, des banderoles ont été hissées. Le pape François devait venir parce qu’on pensait ici que seule son armée d’anges pourrait sauver ceux qui restaient…
C’est le premier visage rencontré d’un peuple centrafricain priant : empreint non pas d’une religiosité de surface, mais d’un enracinement profond dans l’Espérance. L’histoire dira qu’il a beaucoup reçu et que son attente ne fût pas vaine. Pape François est venu , baptisant Bangui «capitale spirituelle du monde» , sortant ce peuple de l’oubli et ouvrant là-bas les coeurs en même temps que les portes de la Miséricorde. Autre visage aux traits d’une grande pauvreté : le camp de réfugiés du Carmel de Bangui, à Bimbo.
Cinq mille personnes y vivent avec pour seul abri les prières des frères Carmes qui ont improvisé une église pour accueillir leurs frères réfugiés depuis trois ans maintenant.
Père Federico s’interroge sur l’avenir pour ces réfugiés ( dont certains ont vu leur maison détruite au PK7 ) sans ménager sa peine au quotidien, pour enseigner les plus jeunes, sauver une maman qui va accoucher , (un accouchement par jour à certaines périodes)… un enfant qu’il faut conduire d’urgence à l’unité pédiatrique de l’hôpital et pour lequel évidemment il convient de couvrir les frais médicaux sans quoi il ne sera pas soigné . Rares sont les jours sans drame mais nombreux aussi sont les jours de joie, comme par exemple, à Noël, où les enfants du camp recevront jouets et livres grâce à Aviation sans frontières , « des fleurs avant le pain »…
Encore un autre visage, celui d’une Centrafrique émergente et qui relève ses manches :
Dans le 7ème arrondissement, une dizaine de familles se sont regroupées en coopérative pour cultiver la terre, développer la pisciculture et produire de la spiruline. Gérôme, responsable de la coopérative, est fier de sa production et soucieux de transmettre son savoir-faire aux plus jeunes. Expert en spiruline, il surveille comme le lait sur le feu sa production, actuellement de l’ordre de 150 kg/an. Les bassins ont été construits il y a déjà bien des années, en partenariat avec l’association NSB « Nutrition Santé Bangui », laquelle assure le fonctionnement du centre de santé du 7 ème arrondissement, spécialisé dans la lutte contre la malnutrition. L’essentiel de la spiruline produite est consacrée à « super-alimenter » les enfants malnutris sur la base d’un protocole scientifique« spiruline-poisson gras ». Actuellement , un flux d’environ 150 enfants bénéficie des soins attentifs de Fernande , médecin NSB et de son équipe. Autres médecins, autres rencontres…d’abord celle du donteur Ione, une institution, connue dans toute la Centrafrique où cette médecin italien soigne depuis 33 ans …
Passionnée par son métier ( mais aussi par le foot et les hommes politiques!), sa persévérance est à saluer, pilier de l’association Assomesca dont elle assure aujourd’hui la gestion. Elle demeure un maillon courageux du système de santé en Centrafrique.
Car la difficulté en Centrafrique, c’est de durer… Et voilà une autre figure qui dure , le docteur Onimus, sa vaillante épouse Michelle est leur fidèle équipe. Fidélité de l’engagement : le principe est simple. Mettre sa compétence au service des plus démunis, dédier son temps aux enfants malades, handicapés. Pas de moyens démesurés, souvent ceux du bord, Michel et son équipe sont une leçon en actes, qu’ils soient remerciés.
Un visage qui demeurera caché en raison d’un rendez-vous manqué, celui de Soeur Elvira, retenue en Italie, sœur qui déploie son énergie depuis plus de 10 ans à Berbérati, au travers du projet Kizito, dédié aux enfants sans parents. Elle a crée une fraternité de couples et a formé ces familles à recevoir en leur sein des enfants qui n’ont pas ou plus de parents. Elle force le respect des autorités locales dont elle est l’ interlocutrice privilégiée pour ces enfants des rues. Visage festif, celui de Freddy, fidèle au poste dans son restaurant , devenu lui aussi une institution dans Bangui. Dégustation de dos de capitaine au poivre sauvage, sorbet à la spiruline et rencontre du tout Bangui, des expatriés aux soldats, du ministre aux avocats, grâce à Freddy, ancien officier de marine français, qui a élu domicile là-bas depuis très longue date.
C’est un endroit où l’on se sent bien parce que la vie y paraît normale, comme un oasis dans le désert, une trêve en temps de guerre. Car l’on ne saurait oublier cet autre visage omniprésent d’une Centrafrique en guerre, d’un pays ravagé par la violence, gangrené par la corruption, courtisé par les puissances de ce monde pour son sous-sol mais oublié d’elles pour son peuple à terre. Concrètement, c’était une dizaine de blessés par balle par jour que l’hôpital de Bangui pansait à l’époque de notre voyage , alors qu’une accalmie semblait fragilement se dessiner.
Mais la visite du Pape n’aura pas eu pour seul mérite de négocier une trêve entre belligérants, elle a honoré ce pays qu’on n’oubliera plus et qui en attendant de peser sur l’échiquier géopolitique est porté dans notre cœur.