Bocaranga, le 2 février 2017

Bien chères Mère Nunzia et sœur Paola Neloumta, chères sœurs, amies et amis.

Voici ce qui s’est passé hier, 2 février, à Bocaranga, ce que nous avons vécu avec la population :

Aux premières lueurs de l’aube, j’étais en train d’aller à la Messe. Il était 6h moins 10. Sortie par le petit portail j’ai entendu des pas derrière moi, je ne me suis pas tournée car je pensais que c’était des gens qui venaient à la messe. Tout à coup, quelqu’un m’a tapé sur l’épaule, je me suis tournée et j’ai vu un grand gaillard devant moi et toute une colonne de Bororos puissamment armés.

Le Bororo m’a tendu la main pour me saluer et m’a fait signe d’entrer à l’Eglise. Sr. Eliane était derrière moi et elle est rentrée tout de suite à la maison. Sr. Emma était à la porte de l’église, les Bororos lui ont font signe d’entrer. Les autres sœurs étaient encore à la maison. Arrivés devant l’Eglise, les Bororos ont commencé à tirer. En même temps d’autres colonnes étaient entrées à Bocaranga par des endroits différents. Je suis rentrée à la maison, nous avons tout fermé et par les fenêtres nous pouvions voir ce qui se passait…

Les gens surpris par cette arrivée ont fui en brousse. Dans la débandade, certains ont rencontré les Bororos qui les ont tués. Beaucoup de gens sont venus chez nous avec le peu de choses qu’ils ont pu sauver. Ils sautaient par le grillage de la concession derrière le foyer Enrichetta pour rentrer, ou passaient par le grand portail du lycée Nemesia. Nous les avons logés aux foyers, dans les salles de classe. Les tirs ont duré plus de 4 heures et étaient bien nourris. C’était terrible !

La Minusca, les militaires de l’ONU, présents à Bocaranga, n’ont pas bougé le petit doigt pour venir au secours de la population… Il y a eu plus de 15 morts, d’autres ont disparu, on ne retrouvait pas des enfants qui avaient fui en brousse.

Les antibalakas, surpris par cette attaque imprévue, se sont organisés petit à petit, mais trop tard… Les Bororos ont eu le temps de brûler le marché, beaucoup de magasins, 2 gros camions… d’enfoncer les portes des maisons des gens, de voler leurs biens…. de détruire les antennes téléphoniques… tout a été si rapide !

Ensuite, ils ont repris le chemin de la brousse en passant derrière notre concession. Ils étaient nombreux. Certains sont allés chez les pères et ils ont volé la moto du curé, sont entrés dans sa chambre et pris 4 ordinateurs, les téléphones, de l’argent…

La femme d’un de nos maitres qui travaille à l’école Bakita, cousin de

  1. Jeanne, a été tuée par des balles perdues.

Après le départ de ces groupes armés, un silence de mort planait sur le village…Une profonde tristesse habitait nos cœurs…

Nous avions revécu les événements de janvier 2014 quand le dernier contingent des Selekas était passé à Bocaranga le 2 février, jour de la Fête de la Présentation de Jésus au Temple !

Que d’émotions, de peurs… Nous sommes vraiment lasses, nous ne voyons pas d’issue dans ce conflit qui continue à semer la mort dans ce pays, surtout dans les provinces abandonnées par l’Etat.

Le soir à 17H30, les pères sont venus célébrer la Messe dans notre chapelle. C’est la fête de la Vie consacrée !

Que de choses à dire à Dieu qui semble oublier la souffrance de son peuple…

Nous déposons dans son cœur de Père les cris et les pleurs des familles qui ont perdu des êtres chers, le désespoir qui habite ceux et celles à qui on a tout volé, pillé, saccagé… la tristesse des enfants privés d’instruction, des cours à l’école, notre souffrance de vivre la mission toujours sous tension, entourées par tant de violence.

Le soleil nous fait ses adieux. On entend encore quelques tirs, puis le silence s’installe sur le village et la nuit nous enveloppe tous.

Malgré ces événements tragiques, nous continuons à croire et à espérer que la PAIX est possible, que le cœur de l’homme peut changer, que la Vie est plus forte que la Mort.

Merci à toutes pour vos prières, votre amitié qui nous donnent le courage de continuer notre mission, filles de Ste. Jeanne Antide au service de ce peuple centrafricain que nous aimons.

La fraicheur du matin de ce nouveau jour et la beauté de l’aurore nous relancent sur le chemin de la mission. Nous ne savons pas ce que le futur nous réserve, nous croyons que Dieu est là malgré son silence !

Sr. Maria Elena Berini