Peu d’armes et beaucoup de foi, Bangui se prépare à une nouvelle bataille

Lettre d’information du Carmel de Bangui n ° 27, le 9 avril 2020

Dans la voiture, alors que nous allons à l’école comme tous les matins, la radio explique les raisons de la lente propagation en Afrique du virus Covid-19 qui, en revanche  s’est répandu rapidement sur les autres continents. Des températures élevées et un âge moyen assez bas sont les principales raisons avancées par le journaliste. Il est difficile de ne pas être d’accord. En Centrafrique, où je vis depuis onze ans, la température dépasse souvent 30 ° et 70% de la population a moins de trente ans.

Mes confrères, qui pourtant font fièrement partie de cet immense 70% de la population, ne sont pas du tout convaincus et ils déclarent, catégoriques: “Le virus ne nous tuera pas, car les Africains ont la foi et ils prient!”. Malheureusement, pour le journaliste de Radio France Internationale, la foi et la prière ne rentrent pas dans les paramètres à prendre en compte. Et même s’il est conscient de la dévotion sincère de ses concitoyens, le Président de la République a décidé également de prendre des mesures de précaution pour enrayer la propagation de l’épidémie: lieux de culte, écoles, aéroport, restaurants, bars et discothèques sont donc fermés. Quand l’Ébola était à nos portes, j’avais été forcé d’arrêter de manger des chauves-souris, maintenant je me suis résigné à ne plus aller à la discothèque ! Heureusement, des célébrations d’un maximum de 15 personnes sont encore possibles. La vie conventuelle se déroule donc sereinement, dans la prière et le travail, et dans un silence auquel nous n’étions pas vraiment si habitués, car la situation est très différente de celle que nous avons connue pendant la guerre où nous étions pareillement enfermés à la maison, mais c’était par peur des bombes, et avec dix mille réfugiés autour de nous. Évidemment nos fidèles nous manquent ainsi que les enfants et les jeunes qui courent constamment autour du couvent. Mais nous espérons que ce jeûne ne durera pas longtemps.

Ce qui est sûr, c’est que l’arrivée du Coronavirus en Centrafrique ne s’est pas fait attendre. À ce jour, onze cas ont été officiellement communiqués, tous limités à la capitale. Ce sont principalement des étrangers dont beaucoup ont déjà guéri. Heureusement, aucun décès n’a encore été signalé. Les infections locales sont donc peu nombreuses. Cependant, il convient de garder à l’esprit qu’il n’y a qu’un seul laboratoire dans le pays capable d’effectuer les tests et donc, en réalité, il y a certainement plus de cas que ce qui est recensé officiellement. Le Cameroun, par exemple, pays voisin avec lequel la Centrafrique a le plus d’échanges économiques, se trouve dans une situation beaucoup plus grave en ce qui concerne les contagions et les décès. Nous ne nous faisons donc pas d’illusions, même si mes frères font toujours preuve d’optimisme, prient avec ferveur et ont étrangement une grande envie de retourner à l’école.

Si le virus devait se propager dans ces régions dans les mêmes proportions avec lesquelles il s’est propagé dans d’autres régions de la planète… ce serait une catastrophe. La Centrafrique n’a pas de système de santé capable de faire face à une telle urgence. Deux fois plus grand que l’Italie et avec une population d’environ 5 000 000 d’habitants, le pays ne dispose que de trois respirateurs. Quand j’ai appris cela, je vous avoue que ça a été pour moi une bonne nouvelle. Je pensais qu’il n’y en avait pas du tout.

Quant à garder ses distances, c’est la mesure la plus difficile à respecter. Les salles de classe peuvent souvent contenir plus d’une centaine d’élèves, les célébrations du dimanche dans les églises sont très fréquentées, les marchés de quartiers, colorés et très populaires sont des endroits où le contact physique – même avec des inconnus – est inévitable. Sans parler des les passagers en surnombre sur les motos, dans les taxis, les petits bus et les gros camions, réalité pittoresque qui est malheureusement la norme dans presque toutes les villes africaines. Evidemment, depuis quelques semaines, des campagnes ont été lancées pour sensibiliser la population à respecter quelques règles d’hygiène élémentaires, et à garder une certaine distance pour éviter une propagation excessive du virus.

Même si l’infection se développe légèrement – et c’est ce que nous espérons tous – les effets de la pandémie se feront certainement sentir et sont dans une certaine mesure déjà ressentis. S’il n’y a pas de trains ou de métros à Bangui et que les usines et les supermarchés peuvent être comptés sur les doigts de la main, on peut déjà constater une augmentation des prix des produits de première nécessité. Cette augmentation risque  de toucher particulièrement les couches les plus pauvres de la population. Paradoxalement, force est de constater que la Centrafrique, après des années de guerre, est plus prête que d’autres pays plus développés à faire face à des situations d’urgence et à vivre dans des conditions extrêmes. Il est déjà arrivé, par exemple, de ne pas aller à l’école pendant des mois, voire des années, d’être forcés de ne pas quitter son domicile pendant des semaines, de créer des hôpitaux de campagne, de renoncer à des  voyages ou des événements et d’organiser son tout petit budget mensuel sans trop se faire influencer par la bourse de Wall Street.

N’oublions pas non plus qu’en Afrique,  près de 400 000 personnes meurent du paludisme chaque année. D’autres milliers de personnes sont victimes de maladies telles que la tuberculose et la rougeole. Ce sont les enfants qui sont les principales victimes de ce massacre silencieux que ne relaient pas les informations qui nous parviennent habituellement. Maintenant que nous sommes impressionnés chaque jour par le nombre croissant de victimes de Covid-19, peut-être que ces chiffres devraient nous interroger davantage et réduire réactions et prétentions face à l’événement que nous sommes tous en train de vivre.

La Centrafrique dispose de peu d’armes pour lutter contre le coronavirus, mais ne baisse pas les bras pour autant. Comme toujours, les Centrafricains se confient à Dieu et se préparent à célébrer Pâques, cette fois non pas dans des églises bondées,  pas non plus devant la télé ou le smartphone, mais réunis autour d’un poste de radio.

Peut-être comme jamais auparavant souhaiter de joyeuses Pâques est à la fois difficile et nécessaire. Difficile, car depuis plusieurs semaines nous vivons avec la mort proche de nous et surtout avec la peur de mourir. Nécessaire, parce que c’est précisément dans cet événement, que nous avons vécu tant de fois de manière distraite et évidente, qu’en tant que chrétiens, nous célébrons la défaite de la mort et la libération de toute peur. Et probablement ce virus, qui occupe désormais nos pensées, nos paroles et nos prières de manière obsessionnelle, a bouleversé ou réveillé notre foi et nous a surpris plus mal préparés que nos hôpitaux ou nos gouvernements.

Si le Coronavirus devait nous faire découvrir le peu que nous sommes devant la grandeur de Celui qui peut nous libérer de la peur et nous sauver de la mort, ce serait un effet secondaire non négligeable.

Joyeuses Pâques!

Père Federico

Un grand merci à ceux qui, en ce moment difficile pour tout le monde et à notre grande surprise se sont rappelés de nous, même seulement, avec un message et ont voulu très discrètement nous montrer leur amitié et leur proximité. J’en profite pour vous informer que mes frères et ma famille, bien qu’ils soient dans l’une des régions les plus touchées de la planète, se portent heureusement bien, bien qu’évidemment confinés chez eux.

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