Flocons de coton, beurre de karité et cette Centrafrique qui ne baisse pas les bras

Lettre d’information du Carmel de Bangui n° 28, 14 septembre 2020

Il est assez facile, en Centrafrique de baisser les bras. Cela arrive même aux plus têtus. Mais il y a une petite armée d’hommes et de femmes, centrafricains de naissance ou d’adoption, qui refusent de jeter l’éponge et qui, sans trop faire parler d’eux-mêmes, se battent pour une Centrafrique meilleure. Une Centrafrique différente de celle qui est décrite par les chroniques de ces soixante ans d’indépendance qu’on vient de célébrer. Chaque voyage en compagnie de mes jeunes séminaristes est toujours l’occasion de rencontrer certains de ces héros involontaires. Je voudrais vous les présenter.

En février, nous nous rendons à Bossangoa, une ville importante du nord de la Centrafrique, où l’abbé Brice, jeune prêtre diocésain, nous accueille. Chaque fois qu’il y a un coup d’État en Centrafrique – et au cours de ces soixante dernières années, ils n’ont pas manqué – Bossangoa est la première ville à subir destructions et pillages. Et chaque fois, l’abbé Brice et ses frères ne baissent pas les bras mais relèvent le défi de reconstruire cette petite église dans la savane, où les missionnaires se font rares désormais.

Les capucins ne sont revenus que récemment. En raison de la guerre, ces religieux, qui ont tant contribué à l’évangélisation de la Centrafrique, ont été contraints de quitter la mission de Gofo, qui a été complètement détruite. Le Père Michel, le Père Antonino et le frère Roland n’ont pas baissé les bras pour autant et avec courage et ténacité ils repartent maintenant, depuis la petite mission de Notre Dame de l’Ouham.

À Bossangoa, il existe également l’une des très rares industries du pays: une filature de coton appartenant à l’État. Nous avons la chance de la visiter pendant la production. Plusieurs ouvriers y travaillent, même s’ils n’ont perçu aucun salaire depuis plus d’un an. Eux non plus ne baissent pas les bras, et, pour ne pas perdre leur emploi et risquer la fermeture de l’une des rares activités économiques du pays, ils continuent à produire du coton.

Un peu à la périphérie, nous rencontrons Sœur Claire. Sa congrégation a été forcée de quitter la Centrafrique, mais Sœur Claire n’a pas baissé les bras et avec quelques amis, et très peu de moyens, elle a créé une école de couture pour jeune filles et un petit centre où est produit un excellent beurre de karité.

De Bossangoa, nous arrivons à Bozoum, mission fondée par les pères spiritains en 1929, qui est ensuite devenue, il y a près de cinquante ans, notre première mission en Centrafrique.

Comme chaque dimanche, mes confrères exercent leur ministère dans la paroisse et dans les églises des villages. Le père Norberto est arrivé pour la première fois en Centrafrique il y a quarante ans en tant que maçon bénévole. Puis il y est retourné en tant que prêtre. Aujourd’hui, il célèbre l’Eucharistie avec les chrétiens de Wara, l’un des villages les plus difficiles à atteindre. Le père Norberto ne baisse pas les bras et, après une heure de voiture et une heure à pied, il arrive au petit village qui l’attend depuis des mois.

Lors de notre séjour à Bozoum nous décidons de gravir l’une des rares montagnes du pays, un gros rocher qui domine le petit village d’Aï. Mes confrères se montrent de dignes fils de leur fondateur Jean de la Croix et, pour arriver au plus vite au sommet de la montagne, ils optent avec enthousiasme pour l’itinéraire le plus court et le plus raide. Cette fois, dans un élan de fierté carmélitaine, c’est au tour du Père Federico de ne pas baisser les bras. Et ainsi, pour ne pas donner à mes jeunes la satisfaction de voir leur père maître resté au pied de la montagne, je rejoins le reste du groupe déjà arrivé au sommet. Et pendant quelques instants, en contemplant le splendide panorama de la savane, nous semblons embrasser par notre prière toute la Centrafrique.

Nous redescendons de la montagne et, traversant le village de Sambay, nous remarquons autour d’une hutte des gens silencieux, au visage triste. On se rend vite compte que quelqu’un vient de mourir. Malheureusement, c’est une petite fille qui a été emportée par une simple rougeole. Nous nous arrêtons et passons un moment avec la famille. Comment ne pas penser au reste du monde obsédé par la pandémie du coronavirus et qui n’imagine même pas qu’en Afrique, chaque année, des milliers d’enfants meurent encore de la rougeole ?

Avant de repartir, nous sommes invités à déjeuner chez la famille du frère Gérard. Maman Simone nous accueille. Il nous prépare un délicieux varan qui suscite un grand enthousiasme chez mes frères mais un peu moins chez celui qui écrit. Maman Simone, tout en ayant un fils carme, est de confession protestante. Mère de dix enfants, dont quatre déjà décédés, elle est veuve depuis quelques années. Elle n’a pas non plus baissé les bras et elle est maintenant heureuse d’accueillir, dans sa petite maison, la nouvelle et grande famille de son fils.

Sur le chemin du retour, après avoir quitté la mission de Bozoum, nous nous arrêtons dans le village de Boguera, où le Père Renato, qui a été missionnaire en Centrafrique pendant plus de trente ans et qui est mort de leucémie il y a quelques années,  a construit une petite chapelle dédiée au Sacré-Cœur, avec l’aide de notre volontaire Enrico. Le soleil est sur le point de se coucher, et nous décidons de nous arrêter pour la prière. Nous commençons le chant des Vêpres en français mais, en peu de temps, la petite église se remplit d’hommes, de femmes et d’enfants, et nous sommes donc obligés de finir en sango, la langue locale, tant est grand le désir de ces chrétiens de se joindre à la prière des douze frères soudainement arrivés dans leur petit village.

En juillet, nous avons pris la direction du sud, vers la forêt du fleuve Lobaye. C’est la saison des chenilles qui, dans cette région, sont proposées bien cuisinées pour le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner. De tous les coins de la forêt, des enfants apparaissent avec des seaux remplis de ces petits insectes bien sympathiques. Grâce à leur vente, les enfants pourront acheter des stylos et des cahiers pour aller à l’école.

À M’baïki, nous rencontrons Mgr Rino Perin, un missionnaire Combonien italien, qui vit en Centrafrique depuis quarante-cinq ans. En 1995, il a été nommé évêque de ce nouveau diocèse qui, bien qu’il soit l’un des plus petits, couvre une superficie égale à celle du Piémont. À son arrivée à M’Baïki, le diocèse comptait quatre paroisses, pas de prêtres indigènes et des centaines de pygmées auxquels annoncer l’Évangile. Mgr Perin n’a pas baissé les bras et attend maintenant son successeur auquel il laissera dix paroisses, une quinzaine de prêtres locaux et autant de séminaristes.

Pour visiter la mission Bagandou, plus au sud, nous traversons le fleuve Lobaye à l’aide d’un bac attaché à un câble d’acier suspendu au-dessus de la rivière. Le moteur qui devrait propulser le bac étant tombé en panne, certains jeunes, pour gagner quelque chose, ne baissent pas les bras et, en tirant le câble à la main, ils nous permettent d’atteindre l’autre rive.

Bagandou est un grand village au cœur de la forêt. L’abbé Piotr, prêtre polonais, nous accueille les bras ouverts. Même si nous n’avions pas annoncé notre visite, il nous invite à déjeuner avec lui. Et il nous raconte la situation sociale difficile de Bagandou, où la sorcellerie est difficile à éradiquer et où de nombreux jeunes sont attirés par les revenus faciles, à la recherche d’or et de diamants. L’abbé Piotr ne baisse pas les bras et nous montre fièrement l’église nouvellement construite et les travaux en cours d’une école pour pygmées.

A côté de la paroisse, nous visitons l’hôpital dirigé par Sœur Donata, une jeune missionnaire Combonienne italienne. Il n’est en aucun cas facile de gérer un hôpital aussi chargé dans des conditions aussi précaires. Sœur Donata n’a pas baissé les bras et, avec une fierté bien légitime, elle nous montre la nouvelle salle d’opération qui évitera à de nombreux malades de faire de longs et fatigants trajets vers les grands hôpitaux.

Et vous aussi, je vous en supplie, quel que soit l’obstacle, la montagne à gravir ou l’imprévu à affronter… ne baissez pas les bras. Peut-être en pensant à tous ceux qui se heurtent à un obstacle, une montagne, un événement inattendu plus grand que le nôtre.

Amitiés depuis Bangui

Père Federico

Si vous souhaitez faire un don pour nos missions, consultez le site: www.amiciziamissionaria.it