Nouvelles du 29/10/15 au 04/11/15

Le 29 octobre 2015

Bonjour! Ce matin, la situation à Bangui sest détériorée de nouveau. Le Père Matteo était en route vers la banque avec André et je mapprêtais à aller à Saint Marc pour accompagner les élèves à lécole lorsque nous avons été surpris par une multitude de gens qui accouraient au Carmel. Le Père Matteo a fait marche arrière au niveau du centre missionnaire Padre Pio. Jai essayé de passer par les capucins. Mais même là-bas, il y avait des gens qui fuyaient. Jai téléphoné au Père Édouard. Aujourdhui, pas décole. Je navais jamais vu fuir autant de gens, surtout denfants qui sortaient de lécole et de parents qui allaient les chercher. Il y a des affrontements dans la zone de Fatima. Même Cédric et la famille du frère Régis ont dû quitter leurs maisons. Ici au Carmel, nous allons bien et nous allons voir si les gens vont rentrer dans leurs quartier ou bien passer la nuit ici. Mais beaucoup dentre eux sont déjà arrivés avec leurs affaires.

Le 30 octobre 2015

La situation à Bangui est beaucoup plus calme qu’hier. Nous avons réussi à aller à l’école et à la banque. De temps en temps, on entend des coups de feu. Des hélicoptères survolent notre zone. Depuis 5 h du matin, de nombreuses personnes sont rentrées dans leurs quartiers, mais seulement pour aller chercher leurs affaires et ensuite, elles sont revenues au Carmel. Dans la matinée, plusieurs maisons ont été incendiées; je pense que cétait dans le quartier de Makambo. Nous avons vu des colonnes de fumée. Le vicaire de Fatima a fait une ronde avec la MINUSCA et malheureusement, ils ont trouvé un vieil homme tué.

Nous savons que l’Évêque a effectué une visite à la paroisse de Fatima où quatre Pères et quelques autres personnes sont restés. Les sœurs sont restées aussi. Cédric dort encore chez nous et cela nous donne beaucoup de sécurité en cas d’urgence. La quantité de gens qui se dirigent vers la ville de Bimbo ou vers le Carmel est impressionnante. Cette situation ressemble à un déménagement plutôt qu‘à une fuite: les gens apportent des tas de choses, des matelas, des réfrigérateurs… Ici au Carmel, le RDC a fait un recensement des nouveaux arrivants. 8 zones sur 12 ont été comptées et dans ces 8 zones, il y a 1 050 de nouveaux réfugiés. Hier, je croyais quil y en avait moins. Je me trompais. Avec ceux qui étaient déjà ici, je crois quil y a environ 3 500 – 4 000 réfugiés. En tout cas, notre service de sécurité fait un excellent travail. Notre horaire suit son rythme habituel. Seule la prière du soir a lieu dans la chapelle intérieure car dans léglise, on entend un peu trop de bruit (rien de désagréable, juste des pleurs des bébés). Le nombre de gens qui dorment dans le garage a légèrement augmenté, mais pas de beaucoup.

Il ny a pas de situation particulièrement difficile à gérer et aujourd’hui, avec les élèves, nous avons lu Saint Jean de la Croix… Nous nous sommes souvenus du Père Guido dans la prière.

Le 31 octobre 2015

Bonjour! La journée a été très intense, une sorte de petit 5 décembre 2013. En fait, ils ont tiré la majeure partie de la journée dans des zones qui se trouvent très près du Carmel: Quina et Cattin. Le moment le plus dramatique a duré de 13 heures à 15 heures. Un très grand nombre de gens arrivait au Carmel; beaucoup venaient de Guitangola. Certains pleuraient de peur. Nous entendions de nombreux coups de feu et l’hélicoptère des Français volait presque directement au-dessus de nous. Javoue que, pendant un certain temps, jai eu un peu peur. Puis, à la suggestion du Père Aurelio que je remercie pour le soutien, jai téléphoné à un général français qui – quelle coïncidence – est le mari d’une carmélite tertiaire et qui a immédiatement informé la coordination centrale de la Sangaris de notre situation. En cas d’urgence, nous avons maintenant un numéro de téléphone spécial pour pouvoir demander de l’aide. Nous abritons environ 5 000 réfugiés. Il ny a pas de situation particulièrement difficile à gérer hormis quelques enfants perdus ou malades. Un anti-balaka bien armé a traversé notre site. Je lai presque foudroyé du regard et il m’a dit qu’il était en train de partir et que sa place nétait pas ici. Il ne manquerait plus que cela. En ce moment, la situation est plus calme et nous allons bien. Évidemment, nous navons pas pu aller déjeuner à la nonciature. Nous aurons peut-être plus de chance demain. Bonne fête de la Toussaint!

Le 1er novembre 2015

Journée comme hier, peut-être pire. Après la messe, ils ont recommencé à tirer, toujours plus près de nous. Pendant des heures, jusquau soir, l’hélicoptère français a survolé notre zone. Nous avons appris hier que les musulmans ont avancé dans la paroisse de Fatima d’au moins deux cents mètres vers Ketengere. Cela n’était jamais arrivé auparavant. De très nombreuses personnes sont arrivées. Il est impossible de dire le nombre, mais elles sont vraiment nombreuses. Elles viennent de Plateau, de Nguitangola, de Fatima, de Quina, de Boing… Même deux sœurs de Saint-Paul de Chartres qui ont essayé de rentrer chez elles ont été contraintes de rester chez nous et cette nuit, elles dormiront ici. Leurs consœurs de Fatima ont été évacuées par la MINUSCA et elles sont maintenant chez les Pères comboniens. Trop de maisons incendiées autour, le risque est trop élevé. Une femme du quartier Avicom a donné naissance à une petite fille, puis elles se sont enfuies chez nous. Aristide s’est immédiatement occupé d’elles. Une autre femme a accouché pendant l’adoration eucharistique. Elle n’a pas eu le temps d’arriver au portail et elle a accouché par terre, dans une tente. Aristide s’est précipité pour l’aider avec le frère Jeannot-Marie qui n’a même pas eu le temps d’ôter son saint habit et qui a bien rempli son rôle d’assistant sage-femme.

Il y a eu un peu de pluie mais heureusement, elle n’a pas duré longtemps. Nous ouvrons le portail de la cour chaque soir à 17 h et les gens sortent à 5 h du matin. D’autres dorment dans les tentes ou dans la grotte de la Vierge. En cas de pluie, nous devrons ouvrir l’église dont l’espace nous avons déjà aménagé en déplaçant tous les bancs d’un côté. J’ai informé de notre situation l’Évêque, par le biais du vicaire, le Nonce et les Français. Nous n’avons pas pu nous rendre à la nonciature, mais j’ai réussi à téléphoner à don Guido (maître des cérémonies pontificales, en ce moment à Bangui pour préparer la visite du Pape le 29 novembre). Je vous embrasse.

Le 2 novembre 2015

La nuit a été particulièrement mouvementée. Nous venions tout juste de nous endormir lorsque les gens qui dormaient dans le garage ont commencé à hurler. Nous nous sommes réveillés en sursaut, nous croyions que cétait une attaque des musulmans. En réalité, il sagissait d‘une affaire de sorcellerie ou des cris de quelqu’un qui a fait un cauchemar, puis de la tentative de quelqu’un de voler de l’argent en profitant de la panique… Il a fallu près d’une heure pour calmer les gens. À 2 h 30, il a commencé à pleuvoir et nous avons ouvert léglise pour y laisser entrer tous ceux qui dormaient à l’extérieur des deux vérandas: beaucoup denfants, de femmes et de jeunes garçons.

À 6 h 30, nous avons quand même pu célébrer « tranquillement » la messe pour les défunts. Malheureusement, les gens continuent à arriver même la nuit. Cest la première fois que cela arrive. Le centre missionnaire Padre Pio qui se trouve près du Carmel et qui dispose également d’un hôpital a accueilli des blessés dont certains sont morts. Ce centre, ainsi que le séminaire Saint Marc, est bondé. Hier, quelques cadavres ont traversé même notre site. Nous ne savons pas encore si nous réussirons à aller à l’école. Je vous embrasse. P. Federico

Le 4 novembre 2015

Malheureusement, hier et aujourd’hui, après un jour de paix, ils ont recommencé à tirer. Il semble qu’il s’agit d’un affrontement entre les casques bleus et les anti-balaka. Je n’en sais pas plus. Les gens sont toujours là avec nous et la nuit, les mamans et les bébés dorment dans la cour et dans l’église. En ce moment, il pleut. Les sœurs de Saint-Paul de Chartres sont rentrées chez elles, tandis que Cédric est encore ici. Depuis jeudi, il n’a pas réussi à s’approcher de sa maison. En moyenne, il y a un accouchement par jour et nous faisons notre possible pour amener les mères à l’hôpital. Hier, j’ai dû amener à l’hôpital communautaire une femme pour une césarienne, pour éviter que le fœtus et la mère (très jeune) ne meurent. Nous avons dû payer près de 70 000 francs CFA. Quelle injustice envers ces pauvres gens! Aujourd’hui, lors des vêpres, Matteo a conduit à l’hôpital une autre maman… Malheureusement, son enfant que nous amené aux urgences à cause d’une grave crise de paludisme est décédé. Il n’avait que cinq ans. Hier matin, il y a eu une réunion avec l’Évêque pour faire le point de la situation. Malheureusement, nous n’avons pas pu y participer. Une commission a été formée pour rédiger un document qui protestera contre l’inertie des autorités et des forces militaires. De nombreuses ONG nous proposent des projets grandioses que j’essaie de redimensionner. Certaines d’entre elles aimeraient aussi fonder une école… J’attends l’arrivée du Père Mesmin, puis on verra. Aujourd’hui, un journaliste de la télévision catholique française (KTO), envoyé par l’Archevêque, est venu nous rendre visite. Il a passé presque toute la journée avec nous et il a fait un reportage sur notre site. Même France 24 a publié un article sur le Carmel. Avez-vous des nouvelles au sujet de la sécurité de la route entre Bangui et Bouar? Je vous embrasse. P. Federico